Editeur(s) : Fayard
Genre : ESSAI, CRITIQUE, ANALYSE
Date de Parution : 05/04/2006
Présentation : Broché - 292 pages - 13 cm x 20 cm
Les matières premières sont les cadeaux que nous
fait la
Terre. Cadeaux enfouis ou cadeaux visibles. Cadeaux fossiles, cadeaux
miniers qui, un jour, s'épuiseront. Ou cadeaux botaniques
que le
soleil et l'activité de l'homme, chaque année,
renouvellent. Les matières premières sont des
cadeaux qui
parlent. Il suffit d'écouter. Elles nous chuchotent toutes
sortes d'histoires à l'oreilles : il était une
fois...,
dit le pétrole, il était une fois..., dit le
blé.
Chaque matière première est un univers, avec sa
mythologie, sa langue, ses guerres, ses villes, ses habitants : les
bons, les méchants et les hauts en couleurs. Et chaque
matière première, en se racontant, raconte
à sa
manière la planète. Cette histoire commence dans
la nuit
des temps. Un homme qui passe remarque un arbuste dont les branches se
terminent par des flocons blancs. On peut imaginer qu'il approche la
main. L'espèce humaine vient de faire connaissance avec la
douceur du coton. Le coton est le porc de la botanique : chez lui, tout
est bon à prendre. Donc tout est pris. D'abord, on
récupère le plus précieux : les
fibres. Ce sont
ces longs fils blancs, formant les flocons qui entourent les graines.
Des machines vont les en séparer. Les fibres du coton sont
douces, souples et pourtant solides. Elles résistent
à
l'eau et à l'humidité. Elles ne s'offusquent pas
de nos
transpirations. Sans grogner, elles acceptent d'être mille
fois
lavées, mille et une fois repassées. Elles
prennent comme
personne la teinture, et la gardent... La longue liste de ces
qualités a découragé les
matières
naturelles concurrentes, animales et végétales.
La laine
et le lin ne représentent plus rien. Si la fibre
synthétique domine le marché du textile (soixante
pour
cent), le coton résiste (quarante pour cent). Et c'est ainsi
que
le coton vêt l'espèce humaine. Il ne s'en tient
pas
là. Il sert à fabriquer des compresses
médicales,
bien sûr, mais aussi des papiers
spécialisés (dont
les billets de banque), des films photographiques, des
mèches de
chandelles. Et, toujours soucieuses de se rendre utiles, ses fibres
entrent dans la composition de produits cosmétiques (laques,
soins capillaires...), de pâtes dentifrice, de
crèmes
glacées... Et même si le goût de
certaines sauces
bolonaises, de certaines sauces allemandes peut sembler
étrange,
comment imaginer qu'elles contiennent du coton ? Les graines ne sont
pas moins généreuses. Riches en
protéines, elles
nous fournissent, à notre insu, une bonne part de notre
huile de
table. Les hommes de marketing semblant craindre que l'indication
"huile de coton" ne dégoûte l'acheteur potentiel,
on la
baptise donc d'un nom plus vague et général :
"huile
végétale". Les animaux, eux aussi, sont nourris
de coton
: ils mangent des tourteaux tirés des graines et de leurs
enveloppes. Les restes servent à la fabrication de savons,
d'engrais, d'explosifs (glycérine), de fongicides,
d'insecticides..., de caoutchouc synthétique. Il faut savoir
que
l'industrie pétrochimique raffole de ces résidus
végétaux : elle les fait participer à
cette
cuisine mystérieuse qu'on appelle raffinage et qui conduit
à des matières parmi les plus improbables, dont
les
plastiques. Pour ceux que ces manipulations angoissent, revenons
à notre mère nature, à la paix des
choses simples.
Après la récolte, les tiges et les branches du
cotonnier
deviendront les litières pour les animaux. Ou bien les
paysans
les brûleront, faute de meilleurs combustibles. Voyager,
c'est
glaner. Une fois revenu, on ouvre son panier. Et ne pas
s'inquiéter s'il paraît vide. La plupart des
glanures ne
sont pas visibles : ce sont des mécomptes ou des
émerveillements, des parfums, des musiques, des visages, des
paysages. Et des histoires. La longue, si longue et si belle route du
coton n'en fut pas avare. Sur cinq continents (en comptant pour deux le
Nord et le Sud de la même Amérique), de Koutiala
(Mali)
à Lubbock (Texas), en passant par Alexandrie (Egypte),
Cuiaba
(Mato Grosso), Boukhara (Ouzbékistan),
Lépange-sur-Vologne (France) et Datang (Chine, province du
Zhejiang), la fibre douce a livré bien des secrets. Au
XVIIIème siècle, sitôt
retrouvée la terre
natale, les navigateurs plantaient les végétaux
collectés aux quatre coins du globe dans un jardin dit "des
retours". Me voilà, moi aussi, en Bretagne, à
l'heure du
jardin. Le panier plein, non de graines, mais d'histoires. Lesquelles
retenir, parmi toutes celles entendues ? Elles volètent et
piaffent, toutes mes histoires de coton, telle une bande d'enfants dont
chacun veut être le préféré.
